Se libérer du carcan de l’euro… plus personne sur la scène politique française ne questionne sérieusement l’appartenance de la France à la monnaie unique, comme en témoigne la Présidentielle qui vient de s’achever. D’où provient cette réhabilitation silencieuse de la monnaie unique ?
Question de contexte pourrait-on penser. La crise financière de 2007-2008, n’est pas de même nature que celle du Covid ou que la crise géopolitique que nous traversons aujourd’hui. Dans un contexte inflationniste, la solidité de la devise devient un atout et limite les risques d’une spirale où la dépréciation du change rentre dans la boucle, amplifiant le phénomène. Quand la vigueur de l’euro a au contraire été un facteur aggravant de la déflation rampante post subprimes.
Certes, mais la réponse est un peu courte. Elle laisse supposer que l’euro serait adapté à certains chocs et ne le serait pas à d’autres. Selon ce point de vue, la crise des subprimes aurait été un choc profondément asymétrique, particulièrement déstabilisant pour les pays du Sud, piégés dans un taux de change surévalué inadapté à leur situation réelle. En quelque sorte, la zone euro aurait eu besoin de plusieurs parités pour se dépêtrer de la crise financière de 2007-2008. A l’inverse, les chocs du Covid et de la guerre en Ukraine seraient des chocs symétriques atteignant toutes les économies sans différenciation, pouvant dès lors se régler dans le cadre d’une monnaie commune. Mais il s’agit là d’une version biaisée de l’histoire. La crise des subprimes à son origine n’est en rien plus asymétrique que les crises suivantes. Les systèmes bancaires des pays créanciers du Nord de l’Europe étaient particulièrement exposés aux actifs toxiques américains, et notamment les banques allemandes. Parler de choc symétrique concernant la crise sanitaire est inversement réducteur : c’est ignorer les inégalités européennes concernant les capacités hospitalières, avec pour corollaire des rigueurs de confinements très disparates. C’est ignorer aussi les marges de manœuvres budgétaires très inégales selon les pays pour amortir la crise, et c’est sous-estimer les disparités de spécialisation, avec notamment l’extrême dépendance du Sud aux recettes touristiques les plus impactées par les restrictions sanitaires… Et idem concernant la guerre en Ukraine, qui expose très différemment les économies selon leur dépendance au gaz russe, et l’intensité de leurs liens commerciaux et capitalistiques avec la Russie. Tous ces chocs, à défaut de pouvoir moduler la parité, sont dès lors de nature à creuser les divergences intra-européen et notamment la fracture Nord Sud. Et si l’euro est perçu comme une solution et non plus comme un problème, c’est que sa gestion a radicalement changé de nature.
En vérité l’euro de 2022 n’a plus grand-chose à voir avec l’euro de 2007, celui de Jean-Claude Trichet. L’Euro Mark, imperméable aux déséquilibres réels a vécu. L’euro en 2022 n’est plus cette monnaie exclusivement conçue pour les nations européennes les plus compétitives et vertueuses au plan financier, auxquels les autres États doivent s’adapter au risque de décrocher. Cette monnaie vigie de l’orthodoxie, aggravant les plaies des pays déviants en termes de dette ou de coût unitaire a dévoilé ses insuffisances en 2008. La crise des dettes souveraines après 2010, qui a fini par menacer l’intégrité même de l’euro, n’a pas été une crise de plus, mais bien le révélateur des dysfonctionnements de la devise européenne. Monnaie incomplète, elle fabriquait de la divergence en ajoutant de la rigueur budgétaire et salariale sur les économies les plus fragiles de la zone euro. Et ne nous trompons pas, si l’euro était géré aujourd’hui comme sous Jean-Claude Trichet, il transformerait les chocs plus récents, que ce soit celui du Covid ou celui de la guerre en machine à diverger, autrement dit en choc asymétrique.
Ce qui a changé depuis fin 2011 avec l’arrivée de Mario Draghi à la tête de la BCE et surtout en août 2014, avec sa déclaration de Jackson Hole c’est :
- La reconnaissance d’une articulation constructive nécessaire entre politique monétaire et budgétaire pour traiter les crises. En cas de crise grave, il ne suffit pas de créer de la liquidité ou de baisser les taux. Il faut aussi que la politique budgétaire expansionniste relaye l’effort de la banque centrale pour soutenir l’économie réelle.
- C’est la garantie que la BCE, par sa politique d’achat, (avec des plafonds de détention illimités par pays depuis mars 2020) possède l’antidote pour limiter les spreads pénalisants sur les économies les plus vulnérables.
- Et puis c’est la possibilité nouvelle de l’UE d’effectuer des emprunts communautaires pour financer les plans de soutiens gradués en fonction des besoins des pays…. Bref l’ébauche de transferts, rééquilibrant même si une large partie de ces montants sont remboursables par les pays bénéficiaires.
Bref l’euro a gagné ses galons d’instrument de politique économique actif en Europe. Il s’est doté d’une stratégie face à la FED. Il ne subit plus les chocs mais les amortit. Et le temps de la double peine où dans les crises, l’euro surévalué étouffait la croissance européenne et aggravait les symptômes des pays périphériques semble révolu.
Publié le mercredi 4 mai 2022 . 6 min. 00
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d'Olivier Passet
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