Et si l’ère des new deal était de retour et changeait durablement la face de la croissance des pays avancés, les arrachant de la stagnation séculaire ? C’est la question que l’on peut se poser au vu du tournant pris par la politique budgétaire américaine depuis la crise. La relance keynésienne atteint une échelle inédite dans ce pays. Et lorsqu’un tel tournant doctrinal est pris par une puissance hégémonique, on est en droit de s’interroger sur son influence en Europe et en France.
La crise aux USA… quelle crise ?
Il faut d’abord prendre la mesure de la mobilisation budgétaire américaine depuis le mois de mars. 2000 milliards, c’était déjà l’argent injecté par Trump pour répondre à l’urgence de la pandémie en mars 2020. 9 mois plus tard, ce sont 600 milliards qui ont été débloqués d’urgence, qui ne sont qu’une avance sur les 1900 milliards du plan que Biden soumet au congrès. Des montants absolument considérables qui défient toutes les relances à travers l’histoire. Pour en prendre la mesure, 2000 milliards c’est 9,4% du PIB US et 1900, c’est 8,9%. Et sur ces 1900 milliards, 1000 milliards sont fléchés sur les ménages à faibles revenus : 600 milliards qui incluent notamment un chèque de 1400 dollars par personne en difficultés et des aides familiales, plus 400 milliards en soutien des chômeurs et des plus pauvres.
Si je représente graphiquement ce qui s’est passé et ce qui va se passer sur le revenu disponible des ménages américains, on saisit rapidement l’ampleur de l’impulsion. Voilà ce qui s’est produit en 2020 sur le revenu disponible avec le premier chèque de Trump. Voici maintenant ce qui va se produire en 2021. Et ce, sans prendre en compte le fait que le prochain budget gommera sans doute l’effet de soufflet de l’extinction brutale des aides après septembre. Et voici ce qui se serait produit si le revenu disponible avait poursuivi sur sa tendance de 2018-2019. Ce que l’on voit, c’est que le revenu des ménages surplombe sur presque toute la période ce qui se serait produit hors crise. Avec en moyenne une hausse exceptionnelle du revenu disponible des ménages de 7,2% en 2020, bien supérieure aux tendances d’avant crise, suivie d’une hausse supérieure à 2% en 2021. Et en moyenne en 2020 et 2021, un gain de 4,7% de revenu par an. Ce qui dans un contexte de faible inflation produit un gain de pouvoir d’achat de 3,3% par an, excédant d’un demi-point la tendance d’avant crise. Bref, du point de vue des ménages, c’est comme s’il ne s’était rien passé et la situation sera même légèrement meilleure fin 2021 à celle du scénario où l’économie aurait continué sur sa trajectoire d’avant crise.
Et au bout du compte, l’économie américaine est armée en termes de pouvoir d’achat pour que son PIB recolle à son niveau tendanciel. Ce qui signifierait, fin 2021, si les promesses vaccinales de Biden sont tenues, que le PIB pourrait recoller à son niveau tendanciel, autrement dit surplomber de 5% son niveau de fin 2019. En ligne avec ce scénario, le Bureau du budget du Congrès américain, le CBO, mise sur un rebond de 6% de la croissance cette année qui ferait bien plus qu’effacer le recul de 3,5% du PIB l’an dernier.
À cela, il faut ajouter le second carburant du doublement du salaire minimum américain à horizon 2025, ce qui pourrait sortir de la grande pauvreté 1,6 million de travailleurs américains et booster le salaire de 27,3 millions de salariés.
L’Europe à l’heure des choix
Pour l’Europe cela n’est pas sans conséquence. Elle trouve une locomotive dans les États-Unis certes. Mais le constat ne doit pas s’arrêter là. Elle risque surtout d’être confrontée à un environnement où entre le rebond puissant de l’Asie et la flambée de croissance américaine, elle devra affronter une situation de normalisation de l’inflation et des taux d’intérêt à long terme plus rapide que prévu. Même si cette dernière est provisoire, et dans un contexte de croissance anémique, cette tension nominale sur les prix et les taux fait courir le risque de faire surgir des dynamiques d’endettement boule de neige dans les économies les plus vulnérables. Soit l’Europe prend part à cet élan keynésien, soit elle sera la grande perdante de la sortie de crise. Elle ne ferait là que prolonger un décalage budgétaire qui s’est aggravé au fil des années, notamment depuis 2010, et que synthétise l’indicateur de déficit primaire corrigé de la conjoncture… indicateur qui chiffre le découvert des gouvernements lié aux mesures discrétionnaires de soutien à la croissance. Avec à la clé, 11 points de croissance cumulée supplémentaire outre-Atlantique entre fin 2009 et fin 2019, le plein emploi, des salaires et une inflation qui demeurent en tension, loin des pressions déflationnistes européennes.
Le mot new deal est entré dans le vocabulaire européen. Mais on est loin encore du tournant doctrinal et d’une mobilisation massive. Un tournant qui, s’il ne s’opère pas, risque de laisser l’Europe sur les bas-côtés de la reprise mondiale.
Publié le lundi 8 février 2021 . 5 min. 51
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