Démondialisation : l’idée se répand. Nous pourrions être entrés dans une phase longue de repli comme celle qui a suivi le premier conflit mondial.
Mondialisation heureuse : plus personne n’y croit
Cette idée a pris corps avec la crise financière de 2007-2008. Les économies ont touché du doigt la réalité du risque systémique porté par la finance mondialisée. Et vue l’ampleur du choc sur l’économie réelle et les besoins de financement induits par la crise, les pays avancés ont aussi saisi l’importance stratégique de disposer d’une base productive ancrée sur le territoire pour maintenir l’emploi, l’assiette fiscale et l’équilibre de la balance des paiements. En situation de faiblesse, ils ont aussi été confrontés à la vitesse du rattrapage chinois, à la stratégie délibérée de l’empire du Milieu de réduire sa dépendance à l’égard des technologies occidentales en remontant les chaînes de valeur ou en menant l’offensive sur le haut de gamme.
Et le rêve d’un monde plat, sans entrave, est de plus en plus apparu comme un jeu de dupes. Les grands groupes ont compris qu’ils ne disloquaient pas sans risque les process de production. Non la géographie n’est pas neutre. Sans parler des retombées sociales, pour les moins qualifiés, de la pression des délocalisations. L’accélération de la crise climatique et la récurrence de crises sanitaires ont aussi légitimé l’idée de privilégier les circuits courts, traçables. Avec le coronavirus, la conscience que la circulation de tout est facteur de viralité est encore montée encore d’un cran…. Bref, plus personne ne croit à la mondialisation heureuse. Ni les citoyens, ni ceux qui les gouvernent.
Soumise à de multiples coups de butoirs, la mondialisation devrait régresser :
1. Pour des raisons technologiques. La digitalisation et la robotique permettent la prise en charge sur le territoire des stades de production confiés aux pays ateliers, à moindre coût.
2. Pour des raisons politiques, compte tenu de ses effets sociaux et environnementaux délétères de plus en plus palpables.
Mondialisation des services et phénomènes de concentration
Mais en première analyse, moins de mondialisation, c’est aussi moins de commerce international. C’est donc moins de croissance. Nos cerveaux ricardiens sont conditionnés pour penser ainsi. Faire et exporter ce que l’on fait de mieux à partir de ses dotations humaines et technologiques et faire faire par les autres puis importer pour un moindre coût le reste est un jeu gagnant pour tous. Cette idée, à l’apparente évidence, est pourtant fausse — non que Ricardo ait tort — pour deux raisons principales :
1. La démondialisation dont on parle reste partielle. Elle ne concerne que la sphère physique de production, devenue minoritaire : la mobilité des marchandises, des implantations industrielles ou des ouvriers. Mais peut-on parler de démondialisation concernant la data, les flux financiers ou les services ? Bien au contraire. Cette mondialisation des flux immatériels ne fait que progresser. Dans de nombreux domaines des services, réputés non délocalisables, car faisant intervenir une relation interpersonnelle, c’est tout le contraire de la démondialisation qui se produit. Les plateformes permettent précisément de produire du service, en mobilisant du travail à plusieurs milliers de kilomètres. Des call centers jusqu’à la chirurgie fine, on peut imaginer la prise en charge à distance qui étend considérablement le champ de la concurrence.
2. Parce que le monde dans lequel on vit n’a pas la perfection ricardienne qu’on lui prête. Conformément au modèle théorique, les chaînes de production se rallongent, participant à la division internationale du travail. Mais cette représentation passe sous silence les phénomènes de concentration du contrôle et de la rente sur des groupes et des gestionnaires d’actifs planétaires dont le pouvoir de marché fausse la concurrence par les prix. Et pour cause, dans le monde de Ricardo, il n’y a pas mobilité internationale du travail ou du capital, pas de fusacq, pas d’exode des cerveaux…
Le monde d’aujourd’hui n’a pas la perfection ricardienne, dans le sens aussi où le dumping sur le coût du travail ou sur le change proroge des technologies anciennes de production au détriment de solutions technologiques plus performantes. Dire que mobiliser du travail des enfants ou d’adultes à 1 dollar de l’heure est un optimum est bien sûr plus que contestable. Que dire encore des externalités sanitaires, environnementales négatives, ou du coût des crises systémiques récurrentes qui détruisent du capital technologique et humain de façon récurrente. Et il faudrait parler aussi de la mobilité imparfaite des hommes. Contrairement aux modèles d’équilibre, ce n’est pas le travail non qualifié qui se déplace pour se mettre en quête d’emplois là où il se crée. Mais c’est l’emploi qualifié qui s’expatrie, affaiblissant les pays développés retardataires, accroissant les pressions à la baisse sur les salaires des moins qualifiés et augmentant les revenus sociaux qui grèvent les budgets nationaux.
Bref, démondialiser serait peut-être nocif dans un monde parfait… Sauf que le monde est tout sauf parfait et qu’il y a place pour des alternatives dont les effets ne sont pas univoques sur la croissance.
Publié le lundi 09 mars 2020 . 5 min. 36
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