Petit exercice rituel en ce début d’année : imaginons 2020… Imaginons cette entrée dans la troisième décennie avec toute la subjectivité que suppose l’exercice, sans prétendre endosser les habits de prophète.
Reprise de feu de la croissance
Disons-le tout de suite, sauf sur le plan strictement numérique, cette année n’ouvre rien. Elle embarque surtout les questions irrésolues de la précédente décennie. Les démocraties n’ont toujours pas su se repositionner face à la monté des autoritarismes portée par les désarrois des classes moyennes. La question écologique n’a toujours pas le début d’une réponse à la hauteur du défi, c’est-à-dire adaptée en termes de moyens et de degré de coordination. Le Brexit continue à créer une énorme inconnue aux portes de l’UE. La Chine demeure ce géant dont on ne sait s’il va submerger le monde ou s’effondrer, l’Amérique latine une poudrière politique et financière et l’Algérie, un voisin au bord de l’implosion… Et l’on ne voit sur aucun de ces enjeux s’esquisser l’amorce d’un dénouement.
Bref 2020, appartient encore à l’après 2008. Un après 2008 où comme le surlignait Xavier Timbeau dans une récente vidéo, nous avons su traiter les bilans des agents financiers et privés, mais nous n’avons pas su traiter l’économie réelle et la question sociale. 2020 s’annonce donc comme l’année des faux semblants. La récession mondiale tant crainte n’aura sûrement pas l’ampleur que certains lui prédisent. Et il se pourrait même que çà et là, resurgisse prématurément le mot reprise dans le vocabulaire des experts. Dans ce monde de l’après 2008, où l’argent, les prix d’actif, les trésoreries, ont leur vie propre, décorrélés du réel, l’économie peut aller mal, sans vraiment aller mal. L’activité peu ralentir sans son florilège de faillites, de licenciements, qui généralement amplifient le phénomène. Et il se peut, que ce début d’année s’illusionne de l’idée d’une résolution du Brexit, quand l’accord négocié à Bruxelles n’est que le début d’un processus long et profondément incertain. Qu’il s’illusionne aussi de l’apaisement du bras de fer commercial sino-américain le considérant à tort comme une pax romana. Et que la bourse, portée par des taux durablement au plancher et le rachat d’actions, accrédite l’idée d’une levée des points de blocage à la croissance et que tout cela soit momentanément auto-réalisateur.
La démocratie assaillie de toutes parts
Mais détrompons-nous. Même s’il y aura en 2020 quelque reprise de feu de la croissance, ce sera une fausse bonne nouvelle. Et peut-être même le plus gros risque de cette année. L’illusion que tout ne va pas si mal, avec la finance dans le rôle de l’orchestre sur le Titanic, est précisément ce qui fait que 2008 n’appartient toujours pas au passé et que le business as usual continue son cours sans prendre à bras le corps les enjeux que j’ai mentionnés d’entrée. Et cette conjoncture en apesanteur est aussi ce qui fait que Trump n’aura pas à rendre compte de son bilan véritable à plus long terme. En somme, l’année 2020 risque plus que jamais d’être pour l’Occident l’année du loup de Tex Avery qui continue à courir quand la falaise est déjà derrière lui.
L’année 2020 sera aussi celle d’une démocratie qui sauve les meubles en apparence alors qu’elle est assaillie de toutes parts. Et dans ce contexte chaque élection devient le marqueur de cette déliquescence. L’année commencera avec des tests importants en Italie, avec les élections en Calabre et en Émilie-Romagne en janvier, suivies dans le courant de l’année de six autres tests régionaux. Elles seront décisives pour la recomposition politique du pays et devraient surligner l’extrême fragilité et illégitimité des partis fréquentables qui ne se maintiennent plus que par combinazione, un acharnement thérapeutique qui accélère leur discrédit. Idem en Allemagne avec le l’élection test du Land de Hamburg, qui devrait acter encore une fois le naufrage du SPD et fragiliser un peu plus la grande coalition au plan national…. Et l’année se finit en apothéose, avec l’élection présidentielle américaine du 3 novembre. Elle occupera le devant de la scène et pourrait consacrer le caractère insubmersible de Trump. Et même si tel n’est pas le cas, une victoire démocrate risque fort d’être un cadeau empoisonné, tant ces derniers sont divisés, tant le corps social n’est pas prêt à opérer le tournant radical qui permettrait à l’Occident de changer d’époque sous leadership américain.
Reste le désastre le plus certain de 2020. Tout ce qui ne se fera pas. En 2020, la Commission communiquera sur le Green deal. Glosera sur la neutralité carbone. Le slogan sera là. Mais le green deal ne se fera pas. Faire le green deal, c’est accepter un budget européen, une dette européenne, mobiliser des montants massifs dans des délais courts, bâtir des filières sur le territoire européen. C’est révolutionner le cadre financier européen. En 2020, on parlera de dérives financières, mais on ne s’attaquera pas à l’hyper-concentration des fonds. On parlera taxation des GAFA sous l’égide de l’OCDE, mais les États-Unis la torpilleront.
Bref, imaginer 2020 aujourd’hui, c’est imaginer une année en trompe-l’œil, une année qui appartient déjà au passé, une année pour rien.
Publié le vendredi 3 janvier 2020 . 6 min. 00
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