Quand la France compare la robustesse financière de l’Allemagne à la sienne, elle se désole. Le pays économe a su, dans tous les secteurs, privés comme publics, se constituer un pactole ou limiter sa dette, gardant des munitions pour affronter l’incertitude. Mais le dragon de vertu a aussi ses petites ficelles. Il ne s’agit pas de dire que tout est artifice, effet de façade. Mais en creusant un peu, la France peut quand même trouver matière à se consoler.
La bonne vielle ficelle de la débudgétisation
Prenons le déficit public notamment. Il y a derrière la vertu allemande et l’affichage quelques tours de passe-passe que le financement du dernier plan de relance de 200 milliards destiné à amortir les effets des de la crise énergétique sur les agents privés a révélé au grand jour. Fin 2022, le gouvernement Scholz annonce le déblocage de cette enveloppe massive qui a fait polémique en Europe, vécue comme une concurrence déloyale, répartie sur 2023-2024, à quoi s’ajoute le changement de braquet du budget de la défense, le tout représentant de l’ordre de 3% du PIB de dépenses supplémentaires par an. Au même moment cependant, son ministre des finances confirme le retour de la fameuse règle d’or, plus précisément du « frein à l’endettement », inscrite dans la Constitution depuis 2009, suspendue depuis trois ans à la faveur de la pandémie. Cela signifie que l’État fédéral ne pourra pas lever plus de 0,35% du PIB d’endettement nouveau l’an prochain. Or, aucun choc fiscal n’est programmé l’an prochain.
Alors comment l’Allemagne parvient-elle à ce tour de force sur fond de croissance léthargique ? Parce que dans la réalité, le gouvernement fédéral a eu recours à un véritable numéro d’équilibriste, en ne comptabilisant pas le paquet énergie et d’autres fonds spéciaux, dans le budget officiel. Pour cela, la bonne vielle ficelle de la débudgétisation. Mobiliser une structure financière qui lève de la dette, garantie par l’État, et qui finance pour le compte de ce dernier les dépenses prévues par le plan.
La santé et l’éducation gérées par « des entreprises et des associations »
Et en creusant davantage, on réalise que ce procédé de débudgétisation est largement mobilisé par les administrations publiques allemandes. Nous envions souvent l’Allemagne pour le faible nombre de ses fonctionnaires. L’emploi public, c’était 10,6% de l’emploi total en Allemagne, contre 21,2% en France en 2021. Une économie de ressources humaines dont on pourrait penser qu’elle est le nerf de la guerre de la sobriété budgétaire outre-Rhin. Et en effet, les dépenses de rémunérations publiques, c’est 4,8 points de PIB en moins qu’en France. Des fonctionnaires moins nombreux, et bien moins coûteux en dépit de rémunérations nettement plus élevées.
Mais en regardant les choses de plus près, il apparaît très rapidement que cet écart se concentre sur la santé et l’éducation. Or, aucun autre indicateur n’étaye l’idée d’une moindre densité en médecins hospitaliers ou en personnel infirmier, rapporté à la population. Idem pour l’éducation où le nombre d’élèves ou d’étudiants par enseignant est sensiblement inférieur en Allemagne, ce qui signifie un taux d’encadrement supérieur. Sur la base de salaires nettement supérieurs de surcroît. En fait, les structures hospitalières et d’enseignement et tout le réseau de sous-traitants qui s’y rattache sont considérés comme n’appartenant pas au périmètre de l’État, mais comme à celui des entreprises et des associations. Ce qui signifie que la situation patrimoniale, et notamment l’endettement qui s’y rapporte, n’est pas entièrement incorporée dans la dette publique.
Dernière illustration, enfin, le domaine de la défense. Jusqu’au conflit ukrainien, l’Allemagne s’est posée en passager clandestin des efforts militaires des autres et notamment des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni, s’épargnant les astreintes liées au financement d’une dissuasion ou d’un bouclier nucléaire ou celles induites par le développement de capacités de projections sur des zones de conflit extérieures. Avec pour résultat, une économie de dépense qui représente en moyenne depuis le début des années 2000, 0,8 point de PIB. Lorsque l’on compare ce qu’a été le déficit budgétaire moyen de l’Allemagne sur cette période, jusqu’en 2020 (-1,1% du PIB) à celui de la France (-3,7%), ce seul poste contribue à lui seul à 30% de l’écart.
La rigueur et les règles n’engagent que ceux qui y croient, en Allemagne comme ailleurs. Le pays a ses règles, avec les résultats que l’on connaît, mais aussi ses échappatoires. Et c’est ce pragmatisme qui fait aussi la résilience du pays.
Publié le mercredi 01 février 2023 . 5 min. 01
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