Quel effet aura la crise sanitaire sur les chaînes de valeur du monde ? Au cœur du cataclysme, les risques de rupture d’approvisionnement avaient mis en évidence la vulnérabilité des pays avancés à l’égard de leurs sous-traitants du grand large. Le débat s’est focalisé sur l’urgence de restaurer notre indépendance à l’égard des composants les plus sensibles, dans les domaines de la santé ou des puces notamment. Avec pour corollaire la nécessité de relocaliser et de raccourcir les chaînes d’approvisionnement sur le champ circonscrit des activités dites stratégiques : la sécurité, la santé, l’alimentation, notamment. Les plans de relance — américain comme européen — ont placé d’idée de l’autonomie stratégique au cœur de leurs préoccupations. De façon parfois très concrète :
• à l’instar des 50 milliards que l’administration américaine va allouer à l’industrie américaine pour sécuriser sa chaîne d’approvisionnement en composants électroniques critiques, avec Intel qui négocie avec les constructeurs automobiles pour fabriquer, d’ici 6 à 9 mois, des puces spécifiquement adaptées à leurs besoins ;
• à l’instar de l’accélération du projet franco-germano-européen baptisé Airbus des batteries, visant au développement d’une filière industrielle permettant de ne plus dépendre des Chinois et des Coréens ;
• à l’instar encore de la taxation carbone que l’Europe compte établir à ses frontières ou encore au niveau français, la stratégie nationale pour l’hébergement des données, annoncée lundi 17 mai.
Que restera-t-il de tout cela ? Nous en sommes encore le plus souvent au stade des déclarations d’intention. Avec des initiatives circonscrites dont on connaît aussi la haute probabilité de n’avoir qu’une faible prise sur le réel. On se souvient du plan « calcul » en France.
Les fonds d’investissement, maîtres du jeu de l’intégration internationale
Au même moment, sur un autre terrain, se joue une tout autre scène, qui nous en dit long sur l’avenir des chaînes de valeur du monde. Cette histoire-là est celle que nous délivrent les grands fonds d’investissement, véritables maîtres du jeu de l’intégration internationale et de l’orientation des investissements, à travers les valorisations boursières. La comparaison des cours boursiers à la date du 17 mai 2021 avec les pics atteints avant crise entre janvier et mars 2020 dévoile ce que projettent les marchés concernant les acteurs gagnants de cette crise qui capteront le plus de valeur dans les chaînes de valeur mondiale.
Parmi les gagnants de cette crise, il y a les fonds de gestion d’actif ou les sociétés d’investissement eux-mêmes. Cette crise n’a pas été la leur et ils sont confirmés comme maître du jeu de l’allocation des actifs et de la gouvernance des grandes entreprises :
• Sans surprise, les acteurs du numérique tels que les services informatiques et de la cybersécurité, les producteurs de software, de microprocesseurs et de puces sortent renforcés de l’épisode Covid et avec eux les acteurs de la vente en ligne, Etsy et Amazon en tête.
• Idem en France où la crise a boosté des acteurs comme Teleperformance, leader des centres d’appels et des solutions de relations clients à distance ou Dassault-Systèmes.
• Le surplace de STMicroelectronics, montre néanmoins, que les investisseurs misent sur la concentration autour des leaders plus que sur les challengers mondiaux.
La géographie des chaînes de valeur se déplace
La crise constitue bien un accélérateur de la digitalisation des entreprises, atteignant toutes les fonctions et notamment la relation client. Et les marchés misent sur la captation croissante de valeur par les géants du numérique, renforçant l’assise américaine dans les chaînes occidentales. Et le même scénario se dédouble en Asie, avec la Chine pour pivot et concurrent des États-Unis.
Autre accélération, le virage électrique et la montée en puissance des énergies et des solutions de mobilité ou de production qui se revendiquent propres : avec l’extraordinaire bond en avant de Tesla, bien sûr, mais aussi de grands acteurs des solutions énergétiques et du stockage de l’électricité comme Generac Holdings ou Enphase Energy aux États-Unis ou encore Schneider Electric en France qui investit les batteries. Derrière cela, un déplacement des chaînes de valeur en amont, vers de nouvelles solutions et donc un déplacement de la géographie des chaînes de valeur qui ne fait que commencer et qui déplace les enjeux géostratégiques sur l’approvisionnement en lithium.
Sans être exhaustif, le cas français montre aussi le formidable tremplin qu’a été la crise pour les conglomérats du luxe : Hermès, LVMH, L’Oréal, Kering. Tous ces grands intégrateurs de marques, multi-implantés font une percée. La crise a-t-elle boosté les perspectives de croissance de ces groupes ? Probablement pas, même si la dynamique asiatique conforte leurs perspectives de développement.
Ce que montrent ces performances, c’est que plus que jamais, les investisseurs jouent la concentration autour des leaders et les effets de levier liés aux acquisitions. Le logiciel n’a pas changé : concentration du contrôle, resserrement autour des cœurs de métier, rentabilité financière maximale, stratégies transfrontières. Le raccourcissement des chaînes de valeur n’est pas dans l’ADN de ce capitalisme-là. Et face à la velléité politique, il y a la logique bien plus puissante des marchés, que la crise n’a pas affaiblie, loin de là.
Publié le mercredi 19 mai 2021 . 5 min. 55
Les dernières vidéos
Économie mondiale
Les dernières vidéos
d'Olivier Passet
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES