En apparence la construction résiste encore et participe à la fameuse résilience de nos économies. C’est du moins ce que laissent penser les données les plus agrégées de la comptabilité nationale, la production du secteur, où les enquêtes de climat des affaires. Le secteur n’est pas au beau fixe mais résiste, à l’image du reste de l’économie, et il dispose encore de nombreux mois de commandes en réserve, pour assurer le maintien de son activité. Or c’est cette situation d’apesanteur qui doit inquiéter, car elle recouvre une dégradation profonde du marché de l’immobilier qui n’a pas encore imprimé toute sa marque sur l’activité et les prix du secteur.
Que nous disent en effet les comptes nationaux ? Que l’investissement en logement résidentiel des ménages fléchit mais voisine encore ses niveaux d’avant covid après les à-coups de la crise sanitaire. Que l’investissement en bâtiment des sociétés et le l’État ne s’étiolent que légèrement et demeurent accrochés aux niveaux de 2018-2019. Bref, l’activité globale de ce secteur, est loin d’être embarqués dans une dynamique baissière franche.
Et même les enquêtes, auprès des industriels du secteur relatent au fond une histoire assez similaire. Elles délivrent néanmoins l’idée d’une certaine hétérogénéité. Concernant le bâtiment d’entreprises, les bâtiments publics, les anticipations résistent encore. Mieux, le secteur demeure soutenu par le segment des travaux d’entretien et de réparation. Néanmoins, les perspectives de construction dans le logement résidentiel semblent avoir opéré un retournement assez franc.
A ce stade c’est donc le logement résidentiel qui constituerait le maillon faible du secteur. Les transactions dans l’ancien ont entamé leur repli depuis le premier trimestre 2022 et les autorisations de mise en chantier embrayent : elles se rapprochent maintenant de leurs niveaux les plus faibles observés au cours des 20 ou 25 dernières années. Et même si le matelas des commandes passées amortit encore les conséquences en termes d’activité, c’est bien un vrai décrochage que l’on observe du côté de la demande. Tous les indicateurs concordent. Les nouveaux flux de crédits à l’habitat, sombrent. Et du côté de la promotion immobilière, aux avant-postes du marché, les enquêtes les plus récentes de l’Insee, les professionnels confirment la bérézina de la demande à l’achat ou à la location, tandis que les stocks d’invendus s’approchent de leurs plus hauts depuis 30 ans. Bref, le retournement est engagé, bien plus prononcé que ce que nous indiquent les chiffres en dur d’activité à ce jour.
Mais ce n’est pas le seul point noir. Côté construction non résidentielle, la résistance apparente de l’activité voile une dégradation inquiétante des fondamentaux du marché. Les données portant sur les surfaces autorisées, qui comportent par définition un caractère avancé, nous délivrent a priori des signaux plutôt rassurants. La construction non résidentielle est encore soutenue par la vague d’autorisation de mises en chantier de surfaces d’entrepôts, même si cette dernière arrive à maturation. De surcroît, les autres composantes (immobilier de bureau, locaux commerciaux, bâtiments industriels, ou publics) se maintiennent en apesanteur au diapason de la relative solidité des perspectives de production de la construction hors logement. En ligne avec ce constat, le crédit immobilier aux entreprises non financières, ne fait qu’esquisser un léger ralentissement. Et pourtant, derrière ce palier de résistance, il faut s’interroger sur ce qui maintient à flot les dépenses. Car du côté des professionnels de l’immobilier, au plus proche de la demande, le retournement de ce marché ne fait plus de doute. Le cas de l’immobilier de bureau est emblématique. Le décrochage des investissements est saisissant après une décennie triomphante. Plébiscités par les investisseurs, les montants engagés ont progressé de plus de 17% par an entre 2009 et 2019 pour atteindre le record de 25,3 Md€, le marché bénéficiant de nombreux soutiens : rendements attractifs, faiblesse des taux d’intérêt, demande de modernisation du parc locatif, etc. Gestionnaires d’actifs, OPCI, foncières, compagnies d’assurance se sont alors ruées sur Paris, le Grand Paris, la Défense, et toutes les autres grandes métropoles à l’instar de la Part-Dieu à Lyon. Or le contre-choc est maintenant d’une rare violence et les investissements sont tombés à moins de 14 milliards d’euros l’année dernière, en retrait de plus de 34% par rapport à la moyenne des 5 exercices précédant la pandémie. L’activité de la construction hors logement ne tient donc plus que sur la longue traîne des commandes passées et sur les travaux d’aménagement et de mise aux normes environnementales des structures existantes. Nous ne sommes pas loin du syndrome du coyote de Tex Avery continuant à courir au-dessus de la falaise.
L’ajustement des volumes et donc bel et bien devant vous, et devrait prendre une forme assez violente. Et la grosse inquiétude maintenant des professionnels du secteur se déplace du côté des prix. Ces derniers ont résisté à haut niveau encaissant sans broncher la dépression des volumes qui a suivi la crise de 2008. Grâce à la baisse des taux. Or cet amortisseur a disparu. Et si la hausse des taux se confirme, ce n’est pas une crise mais deux que le marché devra purger, celle de 2008 et de 2023. Or quand le mouvement de baisse des prix s’engage, ce sont tous les professionnels de l’immobilier qui sont aux avant-postes du risque. C’est là que ressurgit le risque de faillites. De surcroît la France n’est pas seule à affronter ce risque. La Chine est déjà empêtrée dedans avec des faillites retentissantes de gros promoteurs. Les banques régionales américaines vacillent. Et c’est bien le talon d’Achille de la séquence conjoncturelle du moment. Si l’immobilier craque, la finance est en première ligne, et l’emballement systémique n’est plus très loin.
Publié le mercredi 17 mai 2023 . 6 min. 08
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