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Faut-il craindre un gros désordre sur les devises en cas de Brexit chaotique ? Jusqu’ici, l’électrochoc du Brexit, aux modalités plus qu’incertaines, a déjà produit un décrochage de plus de 20 à 25 % de la livre par rapport à l’euro ou au dollar. Le décrochage de la livre, date en fait de la réélection de James Cameron, qui entérinait de fait la tenue d’un referendum à l’issue incertaine. La devise était alors sur un trend haussier, atteignant des pointes à 1,43 euros pour une livre, en ligne avec la santé économique insolente de l’économie britannique. Elle renouait avec ses niveaux d’avant crise, après une longue période de bas étiage, entre 2008 et 2013, durant laquelle, la banque d’Angleterre avait exploité de façon offensive l’arme de la dévaluation compétitive pour sortir l’économie britannique de la crise.


Depuis juillet, avec l’arrivée aux affaires de Boris Johnson, elle est entrée dans une nouvelle zone de turbulence. A ce stade, il est vrai, il serait plus opportun de parler de volatilité. Le marché peine à construire une tendance. De telle sorte que l’on pourrait penser que le couloir de variation de la livre que l’on observe depuis près de trois ans, entre 1,10 et 1,20, incorpore déjà l’hypothèse du pire scénario. Bref, si tempête il y a, en cas de no deal, ce n’est pas sur le marché des changes qu’elle se manifestera avec le plus d’éclat. 


Une prise de recul historique, montre que la livre se situe aujourd’hui, là où elle s’est située par le passé au moment des épisodes de crise les plus paroxystiques de son histoire récente. Pour en juger, je me réfère ici au taux de change effectif réel de la livre, qui mesure le pouvoir d’achat de la livre par rapport par rapport au panier de devises avec lequel commerce le Royaume-Uni. Chacun a encore en tête la crise de la livre déclenchée par Georges Soros en septembre 1992. L’attaque avait fait exploser le SME, provoquant une sortie de la livre du système, et une dévaluation de l’ordre de 15% de la devise et des réactions en chaine sur toutes les monnaies faibles en périphérie. Cet épisode spectaculaire apparaît rétrospectivement d’ampleur relativement modérée, lorsqu’on le compare à la dépréciation qu’a entraîné la crise de surprimes de 2007, où celle qui se dessine avec le Brexit. Elles ont néanmoins pour point commun de ramener la livre vers les mêmes points bas.


Faut-il considérer dès lors que l’essentiel du risque est « pricé », et que le Brexit, même sous sa forme la plus brutale ne peut pas faire baisser beaucoup plus la devise britannique ?  Non pour trois raisons :


1/ La dépréciation de la livre depuis 4 ans, a joué un rôle clé dans le maintien à flot de la croissance de l’économie britannique, et notamment celle de l’emploi, alors même que les conséquences effectives du Brexit ne sont pas encore tangibles. Or cet effet s’étiole. La croissance britannique commence sérieusement à se fissurer, en particulier l’investissement. Le Royaume-Uni a consumé de la sorte la bouffée d’oxygène de la dépréciation de la livre avant même que le choc réel ne se soit réellement produit. Elle aura besoin en cas de Brexit dur de repositionner rapidement son commerce hors Europe sur le plan géographique, et de relocaliser certains segments amont de ses chaines de valeur, et de renforcer  son positionnement low cost. Une reconfiguration qui devrait aller de pair avec un nouvel épisode de dépréciation de la livre. 


2/ La baisse de la livre est mécaniquement amortie du fait de ses effet collatéraux sur l’euro. Le scénario d’un Brexit dur affaiblit aussi l’euro. L’instauration de contrôles et de barrières douanières affecte 12% environ des exportations de la zone (lorsque l’on élimine la composante intra-zone du commerce européen). Mais, pour le Royaume-Uni, c’est 52 % des exportations qui sont affectées. Il est clair qu’il s’agit là d’un choc très asymétrique. La dépréciation actuelle de la livre intègre certes déjà cette asymétrie. Mais le creusement d’un différentiel de croissance au désavantage du Royaume-Uni, pourrait pousser plus loin la dépréciation de la livre.


3/ Contrairement à ce qui fut observé en 1992, l’euro protège la zone d’un effet domino qui pourrait conduire à un surajustement à la baisse. Mécaniquement, les Pays-Bas, l’Irlande, la Belgique et la France seront les plus impactés compte tenu de leur exposition. Mais, la désinflation salariale sera leur seul mode d’ajustement.


C’est in fine davantage l’effet flight to quality, repli des actifs sur la zone euro, qui boosterait la valeur de l’euro par rapport au dollar, et aggraverait le ralentissement européen, qui doit dès lors inquiéter la zone. Il est peu probable, car c’est bien le dollar qui joue traditionnellement le rôle de refuge en cas d’incertitude… Mais il n’est pas à exclure, si les États-Unis entraient au même moment dans une zone de turbulence financière.


Publié le mercredi 11 septembre 2019 . 5 min. 26

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