Cela commence à ressembler à un krach boursier, mais n’en est pas encore totalement un. Pour l’heure la correction est sévère, mais les opérateurs peuvent encore croire en un ajustement inévitable, rendant compte de la multiplicité des chocs exogènes défavorables mais temporaires qui s’abattent sur l’économie : guerre, montée des incertitudes, baisse des anticipations de croissance, inflation etc.
Ces derniers ne remettent pas nécessairement en cause le sentier de croissance à moyen-terme. En cela, l’épisode de baisse actuel pourrait être rapproché de celui observé durant la crise Covid. Une crise spectaculaire, mais qui a laissé finalement peu de séquelles, aussi bien sur les opérateurs que sur l’économie réelle. La Bourse a au bout du compte limité ses pertes, et sa résistance puis son puissant rebond prennent part à la résilience des économies. On pourrait aussi la comparer à la crise d’octobre 1987, bien plus spectaculaire dans sa forme, avec son lundi noir où les actions perdent plus de 20% en une seule séance, mais qui là encore avait pour détonateur un évènement exogène : le resserrement non anticipé de la politique monétaire allemande. La croissance américaine était alors portée par un puissant cycle d’endettement, qui rendait la bourse hyper-sensible à un changement de cap monétaire. Cette crainte fera long feu, et le relâchement monétaire qui suivra redonnera un nouveau souffle à la reprise.
Par la nature exogène des chocs qui en sont la cause, la crise boursière actuelle, se différencierait ainsi radicalement des deux précédents séismes, celui de 2000-2002 et celui de 2007-2009. Dans ces deux cas, la finance constitue alors l’épicentre d’une crise qui se diffuse ensuite à sphère réelle. L’effondrement des valeurs est à rechercher dans les déséquilibres de la finance elle-même, lui conférant un caractère endogène. L’effondrement des croyances, ne relève pas d’évènements aléatoires qui modifieraient la perception de la réalité. C’est le storytelling même des opérateurs qui s’effrite, puis s’effondre. Ces deux crises vont produire des krachs rampants et à conflagrations successives.
La crise de 2000, c’est d’abord une longue phase de stagnation et de volatilité boursière durant les trois premiers trimestres de 2000, qui met à mal l’illusion d’une croissance sans limite. Puis c’est un premier décrochage, relativement contenu de 20 à 30% de la bourse jusqu’à l’été 2001, suivi d’une succession de décrochages par pallier jusqu’en octobre 2002, où la Bourse perd au final près de 50% par rapport à ses pointes de 2000. A l’origine de cette crise, il y’a la course aux acquisitions avec des valorisations vertigineuses notamment dans le secteur des télécoms. De la dette adossée à des goodwill surdimensionnés, d’entreprises qui s’enivrent d’un storytelling hors sol sur le potentiel de croissance et de profitabilité des technologies de l’information. Cette course est émaillée d’incidents de plus en plus retentissants. Sur lesquels les marchés ferment d’abord les yeux. Mais le simple coup d’arrêt de la hausse de la bourse révèle au grand jour la faible rentabilité des opérations de croissance externe, que la réalisation de plus-values exceptionnelles sur des actifs en hausse continue avait jusqu’ici voilée. La panne des marchés signale in fine les faiblesses profondes de la structure financière des entreprises. La crise prend ensuite une tournure plus dramatique, avec la faillite d’Enron en décembre 2001 et de son auditeur Arthur Andersen. C’est toute la confiance dans la validité de l’information financière qui s’effondre alors. L’esbroufe et le marketing de bas étage sapent la vérité des comptes. En définitive la crise de 2000-2002 met à jour une crise de surendettement des grands groupes, qui les a conduits au bord de l’insolvabilité. Très différente dans ses racines, la crise de 2007-2010 possède les mêmes ingrédients et le même caractère rampant : nature endogène de la crise à rechercher dans le surendettement hypothécaire des ménages ; crise de défiance sur l’information financière avec la découverte des produits toxiques qui camouflent des prises de risques surdimensionnées ; défaillance des agences de notation et du contrôle, et faillite de Lehman le 15 septembre 2008, qui fait rompre définitivement la digue de la confiance.
En vérité, aucun krach ne ressemble au précédent. Il suffit de rapprocher les processus de baisse entre les pics d’avant crise et les points bas pour en prendre la mesure. Mais ce qui frappe à ce stade c’est le profit actuel des cours boursiers qui ressemble plus à un processus rampant qu’à un décrochage franc. Et ce sont par le passé, ces épisodes rampants qui ont mis à jour les faiblesses profondes de la sphère financière. Soit l’on se dit alors que cette séquence grise n’est qu’un mauvais cap qui sera dépassé, soit l’on se dit que la crise contient tous les ingrédients des précédents. Un resserrement monétaire non anticipé, comme en 1987 ; des goodwill surdimensionnés adossés à du surendettement excessif, comme en 2000. Un storytelling sur les géants du digital qui lui-même menace de devenir hors sol. Des ménages surexposés au risque hypothécaire, comme en 2007 ; des déprécations d’actifs à venir qui mineront la solvabilité des gloutons de la croissance externe… Il ne manque alors qu’une grande faillite, pour que la fissuration de la confiance devienne le prélude d’une grande culbute. La Finance prendra-t-elle part à la résilience de l’économie ou bien sa crise profonde sera-t-elle un facteur aggravant de la crise des économies occidentales ? Cette histoire est encore loin d’être écrite.
Publié le mercredi 18 mai 2022 . 6 min. 01
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