La virtualisation de nos économies crée l’illusion pour l’utilisateur d’une innocuité environnementale. Ce dernier vit la perception trompeuse d’une miniaturisation des objets, d’une consommation électrique minime des terminaux qu’il emploie, d’un accès illimité aux images et aux sons sans déchets matériels. Et accréditant ce sentiment d’immatérialité du numérique, les GAFAM sont d’abord des mastodontes boursiers, représentant plus du cinquième de la capitalisation de l’indice phare américain, mais seulement 0,5% de l’emploi national.
Le numérique : un monstre énergétique
Cette illusion ne résiste pas longtemps à l’analyse. L’alarme est lancée depuis longtemps. Le numérique est un monstre énergétique pour deux raisons principales simples :
1. Les petits ruisseaux des usages individuels font de très grandes rivières mondiales, que ce soit concernant la masse des matériels et des data utilisés, que le temps consacré aux usages. Concernant ce premier point, il suffit d’avoir en tête que de l’ordre de 35 milliards d’équipements sont en usage dans le monde, dont 8,6 milliards pour les seuls smartphones, et que chaque internaute consacre en moyenne entre 6 et 7 heures à ses activités sur la toile.
2. Surtout, chaque usage engage une cascade de processus qui en démultiplient l’impact énergétique et environnemental en amont. C’est la partie immergée de l’iceberg qui échappe à nos perceptions immédiates. Il suffit de visualiser ce qu’est un Datacenter, de savoir que ces monstres énergivores sont entre 5 000 et 8 000 à travers le monde selon la définition que l’on en donne et qu’ils ne cessent de se développer, d’évoquer le câblage sous-marin qui représente 30 fois la circonférence de la terre, le cloud computing, la blockchain ou encore l’apprentissage profond qui sous-tend le développement des IA…
Une dynamique de croissance hors de contrôle
La consommation mondiale d’électricité du numérique est inévitablement une question complexe. Il n’existe pas un chiffre clé en main faisant autorité et dont l’exhaustivité serait garantie. L’information demeure parcellaire, mais suffisante pour pointer le fait qu’il s’agit non seulement d’une source de consommation énergétique de premier ordre, mais surtout dont la dynamique de croissance est hors de contrôle :
1. Les datacenters auraient consommé de l’ordre de 2 à 3% de l’électricité mondiale au début des années 2020 en y intégrant l’activité des crypto-monnaies, une part qui pourrait atteindre 5% en 2025.
2. La production des équipements numériques, outre l’eau et les minéraux qu’elle surconsomme, serait à l’origine de 3% de la consommation électrique.
Sur ces deux segments, les taux de croissance avoisinent 7 à 10% par an. Et chaque bond technologique affole les compteurs. Ce fut le cas des crypto-monnaies. C’est le cas aujourd’hui avec l’IA générative, chaque séance d’entraînement pour ChatGPT 3.5 entraînant une consommation d’électricité équivalente à 126 maisons danoises selon une étude de l’université de Copenhague. D’après Guillaume Pitron, dans un ouvrage récent, l’ensemble de la filière, partant de l’extraction jusqu’au clic final de l’utilisateur, représenterait 10% de la consommation électrique mondiale et 4% des émissions… C’est un ordre de grandeur discutable, certes, mais crédible.
Transition climatique, une pure velléité
Alors certes, il faut relativiser ces chiffres, en rappelant que le numérique, notamment l’IA, est aussi une partie de la solution énergétique, participant à l’optimisation des flux, des temps de fonctionnement des matériels, accélérant les innovations, la mise en place de réseaux intelligents en matière d’énergie, et notamment le pilotage des énergies renouvelables intermittentes. C’est un fait, la consommation énergétique croît bien moins vite que la consommation de données mobiles.
Quoiqu’il en soit, la tendance est là. Le numérique est un univers énergivore en expansion, qui participe de façon croissante aux émissions de gaz à effet de serre. Une histoire dont le film est bien plus rapide que le rembobinage des énergies fossiles. Ce qui permet d’affirmer avec certitude que la transition climatique est à ce jour une pure velléité. Notre capitalisme financiarisé est d’abord digital, énergivore s’achetant des indulgences avec des investissements verts qui ne sont qu’une hypocrisie climatique.
Publié le mercredi 22 novembre 2023 . 4 min. 44
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