Avec l’intelligence artificielle et la fabrication automatisée de contenus, l’industrie des médias (et des loisirs) change de monde. Elle passe de ce qu’on appelait l’économie de l’attention à ce que Bruno Patino, le président d’Arte, désigne comme l’économie du choix.
C’est le sujet de mon billet libéral.
Bruno Patino a intitulé son dernier essai Submersion. Le titre fait référence à la déferlante de musiques, films, séries, livres, actualités et rencontres qui s’abat sur nous et à notre incapacité à la gérer.
Ce n’est pas un hasard, Submersion : le mot a un goût de noyade...
Car, insiste l’auteur, « nous n’arrivons plus à choisir. L’attente a disparu, et avec elle le manque, le désir, le rêve. Nous voici submergés, privés de liberté, réduits à nos données. »
L’économie de l’attention ? On connaît. Le système de récompense, l’effet de surprise, l’effet de complétude… Les réseaux sociaux sont passés maîtres dans l'art de capter et de conserver notre temps de cerveau disponible.
Oui, mais voilà : notre cerveau ne suit plus, fatigué qu’il est par la masse de contenus à gérer.
La fatigue informationnelle est une vraie préoccupation pour les médias. Selon plusieurs études, elle toucherait entre un tiers et la moitié des Français. Ce n’est pas rien !
Cette lassitude a trois origines :
–D’abord, avec la multiplication des messages, l’intérêt s'émousse ;
–Ensuite, avec le désordre de ce foisonnement, la lassitude s’installe ;
–Enfin, avec la complexité nait le découragement, un sentiment d'impuissance.
Notre cerveau s’asphyxie donc parce qu’il nous coûte de plus en plus d'effort de choisir.
Or, face à cet effort, nous avons trois options : le renoncement, la fuite ou la délégation.
Délégation, c’est le mot clé de l’économie du choix.
Bruno Patino encore : « L'économie de l'attention nous a fait basculer dans l'économie du choix difficile. Fatigués, nous déléguons nos choix devenus infaisables. Ça tombe bien : l'économie numérique n'attend que ça. »
Alors d’accord, la délégation n’est pas nouvelle// Depuis longtemps déjà, les critiques nous aident par exemple à choisir.
Sauf que la délégation 2.0 est d’une toute autre nature en ce qu’elle charrie une double illusion : elle nous donne l’impression de nous libérer de nos limites et d’être fidèle à ce que nous sommes.
Or depuis le concept de « bulle de filtres », nous savons que les algorithmes ont tendance à nous enfermer dans des propositions élaborées à partir de choix passés ou de choix de personnes similaires à nous.
Dès lors, les plateformes sont confrontées au dilemme de l'économie du choix. Bruno Patino le définit ainsi : « Fait-on le choix à la place de ceux qui écoutent ou regardent, au risque de la répétition, donc de l'ennui ? Ou leur laisse-t-on faire le choix, au risque de l'engloutissement, donc de la désertion ? »
Voilà pourquoi le défi pour tous les médias s’appelle la découvrabilité.
« L'art d'être trouvé alors que l'on n'est pas cherché devient la mission et le savoir-faire nécessaire de ceux qui veulent être choisis », note l’auteur de Submersion.
Jamais nous n’avons autant inféodé notre libre-arbitre à des algorithmes dont nous ne connaissons rien, et jamais nous n'avons si peu fait confiance aux médias…
Une contradiction vertigineuse…
Publié le jeudi 7 mars 2024 . 4 min. 00
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