Faut-il brûler Elon Musk ? Depuis son rachat de Twitter, le glorieux disrupteur de l’industrie automobile avec Tesla, le nouveau génie de la conquête spatiale avec SpaceX, le fondateur idéaliste de l’Hyperloop et de Neurolink dérange.
Il inquiète même, ce milliardaire fantasque. Par ses caprices. Par son management musclé. Par sa défense à géométrie variable de la liberté d’expression. Par sa proximité avec des figures de l’extrême droite.
Mon billet libéral du jour s’interroge : Elon Musk incarne-t-il le meilleur ou le pire du héros prométhéen de l’entrepreneuriat technologique ?
Commençons par le meilleur.
Malgré échecs, sarcasmes et mises au pilori, sans rien abdiquer de son excentrisme, le techno-utopiste Musk personnifie l’entrepreneur visionnaire. Il est une incarnation réelle des héros décrits par la philosophe américaine Ayn Rand dans La grève ou La source vive. Rebelle, persévérant sous la raillerie, en marge du capitalisme de connivence, transgresseur de codes, défenseur du laisser-faire, en lutte contre l’irresponsabilité administrative, inventeur et homme d’affaires doué pour transformer les grandes idées en grands produits.
Mais Ayn Rand est trop radicale pour disposer en Europe de l’aura qu’elle a aux Etats-Unis. Car Rand, c’est aussi une défense inconditionnelle de l’individualisme et du capitalisme, le seul système vraiment moral selon elle. Rand, c’est l’éloge du self-made man persuadé de sa supériorité, se dressant seul contre tous, et d’abord contre l’Etat, dans le but de se réaliser. Rand, c’est la glorification de l’usage de la raison, de l’égoïsme rationnel érigé en vertu cardinale.
Sans doute cette philosophie justifie-t-elle aussi le pire. Les titans du digital se croient tout permis. Et partout l’hubris menace. Chez la crypto-licorne FTX, nouvelle égérie de la faillite frauduleuse. Chez Google, condamné pour géolocalisation illégale de ses utilisateurs. Chez Facebook, acculé à licencier 13% de ses effectifs sous les scandales. Et donc chez Elon Musk, auteur mal inspiré de trolls sur sa propre entreprise, agent électoral perturbateur, héraut extrême du free speech, sondeur manipulateur, cost-killer désordonné…
En accord avec la mythologie randienne, tous ces techno-libertaires se voient en Atlas entrepreneurs, portant sur leurs épaules tout le poids des révolutions technologiques à même de construire un monde meilleur. Ces Atlas ont réussi seuls contre tous ; ils veulent prospérer de même, en portant le fer contre les syndicats, les régulateurs, les médias, les technophobes, la vie privée… Ces Atlas veulent ignorer ce qu’ils considèrent comme des limites à leur vision du futur, y compris certaines règles démocratiques.
En France, pays du principe de précaution, de la fiscalité égalisatrice et de l’Etat agent du risque zéro, Elon Musk est coupable – coupable sans circonstances atténuantes. Les Américains considèrent plutôt cette folie entrepreneuriale comme le prix à payer au nom de la liberté et de la réalisation par la création. Quitte à sanctionner ses errements en Bourse : en 2022, Musk a perdu 130 milliards de dollars.
A chacun de juger.
Pour commencer cette année, je verse au dossier une citation d’Ayn Rand tiré de son best-seller La Grève: « Ne laissez pas disparaître le héros qui est en vous, par frustration de n’avoir jamais pu vivre la vie que vous méritez. Assurez-vous de la route à suivre et de la bataille à mener. Le monde auquel vous aspirez existe, il est réel, il est possible, il est à vous. »
Publié le mercredi 1 février 2023 . 4 min. 19
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