Mon billet libéral du jour porte sur les droits de succession.
Dans une note intitulée Repenser l’héritage, le Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon, dresse le constat d’une concentration croissante du patrimoine des Français, facteur d’inégalités. D’où l’idée de taxer davantage les transmissions des plus riches.
C’est peu dire que cette note a déclenché un vif débat. Avec des oppositions assez classiques.
D’un côté, ceux pour qui le capital est devenu une machine à inégalités. Aujourd’hui, 60 % du patrimoine est hérité ; c’était 35 % en 1970. Les mêmes dénoncent un système fiscal peu progressif, mité d’exonérations trop favorables aux plus aisés.
De l’autre, ceux qui estiment que l’arme fiscale ne sert qu’à cacher la misère. Contre la reproduction sociale, mieux vaut s’attaquer à la faillite de l’école. Ceux-là constatent aussi qu’en France, les droits à payer pèsent déjà deux fois plus que la moyenne de l’OCDE.
Même le camp libéral affiche ses divisions.
Pour les uns, frapper l’héritage, c’est dissuader l’épargne, c’est-à-dire le capital nécessaire aux entrepreneurs pour innover, prospérer, embaucher…
Pour les autres, c’est une rente, un privilège qu’il faut combattre au nom de la promotion du mérite. Aucun talent entrepreneurial n’est nécessaire à l’héritier…
Voilà pour la joute intellectuelle. Dans un pays paradis des impôts, obsédé par l’égalité, biberonné à la justice sociale, acquis à la progressivité fiscale et facilement anti-riches, une majorité de Français devrait en toute logique soutenir le parti des anti-héritage.
Eh bien il n’en est rien !
En France, l’imposition des successions est impopulaire. Une enquête commentée dans le rapport Blanchard-Tirole nous apprend que seuls 31 % des sondés trouvent justifiée l’existence d’un tel impôt.
Plus surprenant, seulement 25 % des personnes interrogées se disent favorables à une augmentation des droits sur les successions pour les plus fortunés.
Faut-il en conclure que les contribuables ne comprennent rien à rien ? Non, bien sûr.
Ce qui est passionnant, c’est de décrypter les dilemmes fiscaux… pardon les dilemmes moraux, déclenchés par cet impôt sur la mort.
Premier dilemme : justice sociale contre justice fiscale. Sensibles à la justice sociale, justification traditionnelle à la hausse des impôts, nombre de Français trouvent injuste la double imposition ou le fait de devoir vendre son patrimoine pour acquitter l’impôt.
Second dilemme : égalité contre équité. Un conflit existe entre l’attachement à l’égalité des chances, de fait biaisée par l’héritage, et la défense de l’équité à l’égard des parents : pas de raisons que ceux qui ont travaillé dur pour transmettre un patrimoine soient plus imposés que ceux qui ignorent leur descendance.
Une contradiction enfin : exemption contre progressivité. Si 87 % des sondés veulent des droits réduits pour permettre aux parents de transmettre le plus possible, 54 % se disent malgré tout pour une fiscalité plus progressive.
Ces sondés sont-ils irrationnels, incohérent ?
Encore une fois, non.
Considérer l’héritage du seul point de vue du légataire, c’est oublier le choix altruiste du léguant. Or cet impôt ne respecte pas le libre choix du défunt, riche ou pas, au fond jugé fiscalement coupable d’avoir affecté une partie de ses ressources à l’épargne en vue de la transmettre.
Au demeurant, cet héritage est propriété de la famille qui doit pouvoir en disposer librement puisqu’il a déjà été taxé.
Et puis privilégier la redistribution étatique sur la redistribution familiale ne va pas de soi. Alors même que l’héritage procède d’une volonté de redistribution familiale entre générations ou intra-fratrie.
Et voilà comment, à rebours de nos d’experts toujours prêts à plus d’impôts, les Français considèrent l’héritage comme moralement acceptable.
Publié le jeudi 27 janvier 2022 . 4 min. 53
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de Rémi Godeau
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