Une erreur économique fondamentale en matière de lutte contre le réchauffement climatique est de croire dans la pertinence d’un signal-prix engendré par une taxe carbone. L’idée consiste à dire qu’une taxe carbone engendrerait une modification des comportements qui ferait évoluer le système vers des modes non-carbonés de production d’énergie et des mobilités propres.
Mais pour qu’un signal prix ait un effet sur la consommation d’un bien, il faut soit qu’il existe un bien substituable, soit que la consommation de ce bien ne soit pas essentielle. Par exemple, si la puissance publique décide de décourager la consommation de sel fin en la taxant mais exonère la consommation de gros sel, je peux aisément reporter ma consommation de l’une à l’autre forme de sel, ou le cas échéant décider de me passer de sel, et le signal prix aura fonctionné.
Mais la situation du carbone est radicalement différente :
1. Tout d’abord il n’existe, le plus souvent en matière de transport, pas de bien de substitution : à moins de changer de vie et de profession, la femme ou l’homme d’affaire qui voyage au loin plusieurs fois par mois pour son travail n’a d’autre choix que de prendre l’avion, et l’infirmière de campagne n’a pas d’autre choix que de prendre sa voiture du matin au soir pour aller visiter ses patients. La réalité est qu’en l’absence de bien de substitution le signal-prix qu’est censée être la taxe carbone ne signale rien du tout : elle se contente de taxer. On voit au passage que les exemptions de la taxe carbone dont bénéficient les secteurs du transport aérien ou routier ou le secteur agricole, et qui sont souvent pointées du doigt comme l’un de ses défauts majeurs, ne sont en fait pas le problème car, dans une large mesure, il n’existe pas de substitut à ces activités.
2. Ensuite, l’augmentation du prix du carbone possède un effet non comparable pour les personnes à hauts revenus et pour celles à bas revenus : comme nous venons de le voir, les deux catégories se voient dans l’impossibilité de modifier leur mode de transport mais les premiers peuvent absorber le coût supplémentaire sans difficulté tant elle représente une part faible de leur revenu disponible, alors que les seconds se retrouvent étranglés car ils ne peuvent pas ne pas consommer le bien taxé même si la nouvelle taxe représente une part importante de leur revenu disponible déjà faible.
3. Conséquence des deux points précédents, la taxe carbone est socialement et politiquement acceptable quand elle est indolore du fait d’un prix du pétrole bas, ce qui, on le voit, ne semble pas très porteur pour une taxe se voulant incitative.
Si, donc, l’existence d’un signal-prix est un leurre dans le cas du carbone, la solution réside dans une action sur les quantités.
Il existe au niveau global ce que les spécialistes appellent un budget carbone. Ce budget carbone représente la quantité maximum de carbone que l’humanité peut se permettre d’encore émettre si elle veut limiter le réchauffement climatique à 2°. En divisant ce budget carbone par le nombre d’êtres humains sur terre, il serait possible de calculer un budget carbone à l’échelle individuelle. Ce budget, identique pour chacun, rendrait possible une régulation de la quantité de carbone émise: avant d’acheter son quarantième billet d’avion de l’année, l’homme d’affaires devrait acquérir la fraction de budget carbone individuel qui lui manque auprès de l’infirmière de campagne qui pourrait ainsi monétiser son excédent de budget carbone.
Un tel système permettrait à la fois de contrôler directement la quantité de carbone émise et de contribuer à rééquilibrer les disparités de revenus excessives qui déstabilisent la planète économique et politique. A l’inverse d’une taxe carbone censée être incitative mais fondée sur la contradiction d’une acceptabilité liée à son caractère indolore en période de prix du pétrole bas, ce système serait à la fois efficace, puisqu’il permettrait de respecter le budget carbone de la planète, et socialement incitateur en tant que mécanisme par lequel les moins favorisés se verraient rémunérés pour leur moindre consommation de ce mal public qu’est l’émission de carbone. Incidemment, ce mécanisme n’aurait aucune raison de transiter par le budget de l’Etat, ce qui n’est pas un mince avantage.
Publié le lundi 8 avril 2019 . 4 min. 46
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