La productivité n’est plus ce qu’elle était !

Les gains de productivité du travail ont servi de boussole aux économistes depuis la révolution industrielle. Produire plus avec moins d’heures de travail fut le crédo. Il l’est encore souvent. Mais on observe partout une baisse tendancielle des gains de productivité depuis 20 ans.  En un sens, c’est inquiétant car les gains de productivité sont le meilleur moyen de rester compétitif pour une industrie, et le meilleur moyen de libérer et de réallouer des ressources humaines pour une économie. Mais le moment est aussi venu de s’interroger sur les limites de cet instrument de mesure, en particulier quand il s’agit de décider des stratégies des organisations. Nous ne sommes plus au XIXème siècle ou au XXème où libérer des ressources humaines de l’agriculture vers l’industrie, puis vers les services pour assurer la continuité de la croissance, était une priorité absolue. Même la simple recherche de réduction des couts n’est plus un argument compétitif suffisant.

Les enjeux d’aujourd’hui demandent d’autres priorités et d’autres productivités.

Le respect de l’humain tout d’abord où l’on voit bien que les progrès de productivité, en particulier dans les services, ont dévalorisé le travail et que cela se traduit à la fois par des enthousiasmes au travail pour le moins limités, et par des relations déshumanisées avec les consommateurs. Les externalités négatives des gains en productivités deviennent couteuses et présentent un risque de compétitivité.

D’autre part, une société vieillissante, aux besoins importants en santé, en sécurité, en services de proximités et en contacts humains ne peut plus penser trop exclusivement en termes de productivité de l’heure travaillée. Nos industries de la santé ou des soins à la personne demandent une nouvelle logique.

L’internationalisation avait, depuis les trente glorieuses, compensé des moindres hausses de productivité par la possibilité de trouver des couts de main d’œuvre moindres dans les pays émergents. Mais nous en payons aujourd’hui les conséquences en termes de savoir-faire perdus et de dépendances. Réindustrialiser partiellement, ou mieux diversifier les sources d’approvisionnement, devient plus stratégique.

Enfin, la RSE est venue bouleverser la notion de productivité. En effet, en se focalisant sur la productivité du travail et en se souciant peu de l’environnement, on a négligé la productivité de l’usage des énergies, des matières premières, des ressources naturelles, de l’eau, et les impacts en externalités négatives sur l’environnement. Produire plus par heure travaillée n’est plus qu’un facteur parmi d’autres. Et ces « autres » prennent une place grandissante. Combien la production de ce vêtement a-t-elle consommé d’eau ou d’énergie est déjà une question aussi importante que celle des heures travaillées pour sa production.

Les implications stratégiques sont importantes. Tout d’abord il ne sera plus possible de parler de productivité comme on l’a fait jusqu’à présent, sans regarder les effets pervers, notamment sur l’environnement. Ensuite, les législateurs, les actionnaires et les conseils d’administration vont demander de plus en plus de comptes sur les autres productivités, car elles sont vitales pour la survie à long terme de l’entreprise et pour son potentiel de compétitivité.

Ce ne sera ni facile, ni rapide, mais la mutation vers la prise en compte de ces nouvelles productivités est inévitable.