La rumeur, c'est le plus vieux média du monde

Un prospecteur de pétrole arrive au paradis devant Saint-Pierre qui lui annonce que le quota de prospecteurs est épuisé. Très déçu, le prospecteur réfléchit puis demande à Saint-Pierre s’il peut quand même dire un mot à tous ses confrères déjà là. Saint-Pierre n’y voyant aucun inconvénient, le prospecteur s’approche de l’entrée et s’écrit : « On vient de trouver du pétrole en enfer ! ». Immédiatement, tous les prospecteurs du Paradis se lèvent et foncent en direction de l’enfer.

Impressionné, Saint-Pierre invite alors notre prospecteur à entrer au Paradis. Mais après un bref temps d’hésitation, il lui dit : « Merci beaucoup ! Mais je vais rejoindre les autres en enfer car au fond, il y a peut-être du vrai dans cette rumeur. »

Cette célèbre petite fable illustre à merveille l’argument d’Ernest Renan qui voyait dans la rumeur un bavardage qui se nourrit de l'imagination et se propage par la crédulité. Mais il s’agit là d’un type de rumeur parmi d’autres, une rumeur que l’on peut qualifier de « rumeur intentionnelle ». C’est-à-dire une rumeur ayant un but. Pour notre prospecteur, il s’agissait de manipuler ses confrères. Une rumeur intentionnelle peut également avoir pour but de nuire, de distraire ou de tester une idée.

Les marchés financiers constituent un champ fertile pour les rumeurs intentionnelles au point que pour de nombreux tradeurs, si la rumeur n’existait pas, il faudrait l’inventer. On peut par exemple s’interroger sur la nature des intentions derrière les fréquentes rumeurs de rachat du groupe Carrefour par Wall Mart, Amazon et Auchan. En finance, de telles rumeurs sont condamnables. En 2012, Barclays a accepté de verser 450 millions de dollars aux régulateurs américain et britannique pour solder les allégations selon lesquelles la banque avait cherché à manipuler à son avantage le taux interbancaire Libor.

On trouve ensuite des « rumeurs prémonitoire », des « brouillards de vérité » pour reprendre la formule de Jean Cocteau. C’est le cas en 2014 lorsque des rumeurs relatives à la chute du prix du pétrole ont d’abord été ignorées avant de se réaliser, ce qui a engendré une grave crise économique dans plusieurs pays producteurs. En matière de technologie, de nombreuses rumeurs nées au XXe siècle se sont avérées prémonitoires. Parmi elles citons, Internet, les smartphones et les cryptomonnaies et les biotechnologies.

On trouve enfin des « rumeurs énigmatiques ». Parfois fantaisistes, non-élucidées ou mystérieuses, ces rumeurs ouvrent la voie aux théories du complot à l’instar de celles entourant l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. C’est aussi le cas de la fameuse rumeur d’Orléans dont Edgard Morin disait qu’elle agissait comme « une folie collective ». Il faut dire que la rumeur énigmatique est éprise de sensationnel. Elle se nourrit de crédulité et d’inquiétude et se propage par la peur et l’angoisse.

Qu’elle soit intentionnelle, prémonitoire ou énigmatique, la rumeur est bien le plus vieux média du monde. Mais aujourd’hui, elle est plus que jamais ubiquitaire et vivifiée comme jamais par l’élixir de jouvence que lui offre le développement exponentiel des solutions de communication à l’échèle globale. Dans ce contexte, penser et agir face à la rumeur est plus que jamais une exigence et une nécessité.