Le groupe Engie, l’ex GdF Suez, s’est lancé dans une campagne de cessions et d’acquisitions pour transformer son portefeuille stratégique d’activités. C’est Isabelle Kocher qui est à la manœuvre depuis son arrivée à la tête du groupe où elle a succédé à Gérard Mestrallet.
Il faut reconnaître que l’impératif de repositionnement stratégique était pressant, tant les résultats financiers sont à la peine depuis plusieurs années. En fait, le remodelage stratégique avait été engagé dès 2012.
• Première révision majeure : après avoir plaidé les synergies entre l’énergie et le monde de l’eau, le groupe a laissé son indépendance à Suez Environnement en ne re-signant pas son pacte d’actionnaires arrivé à échéance à l’été 2013, déconsolidant ce qui était jusque-là une branche du groupe, et au passage allégeant la dette du groupe de 8 Md€ tout en y gardant son ticket minoritaire, comme gage de cash disponible pour le futur.
• Seconde révision majeure : le décentralisé contre le centralisé. A l’heure des smart grids et de la production décentralisée d’énergie, à quoi bon investir dans de grosses centrales si c’est pour les utiliser trop peu et les amortir si mal. Ce fut d’ailleurs le coup de maître de Gérard Mestrallet que cette communication sidérante qui lui permit, les bras croisés à la une du journal Le Monde, de déclarer qu’il déclassait le monde ancien, traduisez, celui des centrales à gaz devenues inutiles et pourtant presque neuves. Ce faisant il passait et faisait passer, apparemment sans trembler, ou en tremblant mais en le cachant bien, une provision pour dépréciation d’actifs de 9 Md€. C’était en 2014 sur les comptes 2013. On avait vu des présidents se faire virer pour bien moins que ça, mais ce tour de force de communication, qui en laissa plus d’un bouche bée, lui permit de rester en place.
• Troisième révision majeure : cap sur la production d’énergie dé-carbonée. C’est là qu’apparaît la patte d’Isabelle Kocher qui poursuit le recentrage ou le décentrage suivant le point d’observation. Il était temps, car selon l’expression lucide de Jacques Chirac, « la maison brule et nous regardons à côté ».
• Quatrième révision : cap sur les services. Et cela se fait via des acquisitions, pour l’heure ciblées sur les Etats Unis, en cédant des activités de production d’énergie thermique pour parier sur l’efficacité énergétique, sur l’innovation fondée sur le numérique et la gestion des données. Après Ecova en 2014, Retroficiency en 2015, OpTerra puis GreenCharge Networks en 2016, Engie annonce vouloir continuer ses emplettes.
Et là, soudain une petite lumière rouge s’allume dans la tête de ceux qui connaissent d’autres parcours similaires qui ont donné des résultats pour le moins contrastés.
Dans ce que donne à voir Engie de sa stratégie, il y a comme un goût d’Alcatel qui, face à l’irruption du monde Internet, à la fin des années 90 et au tout début des années 2000, au moment de la bulle, s’était lancé frénétiquement dans une coûteuse campagne d’acquisitions pour tenter de prendre le train d’une révolution en marche. Chaque nouvelle opération faisait alors l’objet d’un communiqué de presse reprenant les mêmes éléments de langage « Avec cette acquisition, Alcatel renforce sa présence dans ce domaine qui est au cœur de sa stratégie; cette acquisition va être immédiatement valorisable par le groupe et va se fera sentir dans les comptes dès le prochain semestre ». Ben voyons. J’ai souvenir d’un ami américain qui avait accompagné une start-up qui venait ainsi de se vendre à Alcatel et qui me glissait dès l’époque sur le ton de la confidence, en parlant d’Alcatel, « They had no clue of what they bought ». On connaît la suite. Une fusion avec Lucent, voyant une thérapie dans ce mariage entre deux géants malades, puis l’acquisition peu glorieuse par Nokia…
A l’inverse il y a le cas Schneider Electric. Bel exemple. A partir d’un groupe vieillissant autour de Creusot Loire, Dominique Pineau Valencienne et ses successeurs auront avec une belle continuité construit en 30 ans, cession après cession et acquisition après acquisition, un groupe cohérent et performant.
C’est bien que ce n’est pas seulement une question de cap stratégique. C’est aussi et surtout une question de cohérence des choix des proies, d’évaluation fine des cibles via des due diligences serrées, de pesage attentif et réfléchi de chaque deal, de détourage des activités clés, de cession des activités non stratégiques, existantes ou acquises, d’intégration, de mise en musique et de développement des business repris. Tout un programme.
Entre l’exemple d’Alcatel et celui de Schneider Electric, ne doutons pas où le cœur et la raison d’Isabelle Kocher peuvent pencher. Mais tout reste à faire. Souhaitons-lui bonne chance. Nous avons tous besoin d’un Engie conquérant qui réussisse sa mue.
Publié le mardi 18 avril 2017 . 5 min. 19
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