Un océan bleu est un espace concurrentiel sans concurrent qu’une stratégie astucieuse est supposée permettre de repérer (ou de construire) pour échapper aux océans rouges, ces espaces concurrentiels rougis par le sang des affrontements concurrentiels. Cessons le sang versé, évitons l’affrontement concurrentiel ! Quel beau message pacifique.
Il y a là un paradoxe classique de la stratégie. Dans un monde convaincu des vertus du marché et de la concurrence, une part importante des stratégies est en fait en quête de sources d’avantages concurrentiels durables et défendables, ou encore de niches stratégiques ou de business model unique ou de compétences difficilement imitables. Dans cette acception, la stratégie serait au fond le grand jeu de la fuite vers des positions protégées par des barrières tangibles ou intangibles, vers des châteaux forts légalement inexpugnables, vers des niches trop spécifiques pour intéresser la horde, vers des territoires inconnus où la concurrence n’est pas encore allée.
Il y a de l’évitement dans tout cela. C’est exactement ce que nous propose la stratégie Océan Bleu popularisée par Kim et Mauborgne. Il s’agit de se sortir de l’impasse mortifère de la concurrence par les prix, centrée sur les coûts, et de dépasser aussi l’autre option générique, celle de la différenciation qui s’avère être une guerre de mobilité tout aussi sanglante. Il s’agit de réinventer son terrain de jeu et d’en tirer profit aussi longtemps que la concurrence ne parvient pas à y entrer.
L’idée est séduisante ; le passage à l’acte est une autre paire de manche. Il y a trois obstacles principaux pour accéder à son océan bleu.
Premièrement, un océan bleu se découvre rarement. Il est plus pertinent de considérer qu’il est à construire. Kim et Mauborgne suggèrent que ce peut être par recombinaison, ajout ou épuration d’une offre, par un périmètre réinventé autour d’un business model nouveau, etc. Mais c’est là plus un tâtonnement heuristique, empirique que ce ne sera une conception finement élaborée et définie avant d’être mise en œuvre. C’est d’ailleurs bien la leçon des start-ups que de devoir expérimenter entre plusieurs business models successifs.
Deuxièmement, « réinventer son industrie » suppose d’être un acteur établi dans son industrie. Cela signifie qu’il faudra surtout réinventer sa propre organisation. C’est-à-dire, et c’est là le plus difficile, dénoncer et oublier ses propres crédos stratégiques, ses processus organisationnels, sa culture. C’est là une tâche redoutable, difficilement justifiable par la seule volonté de partir à l’aventure, en quête d’océans bleus très incertains. Si une start-up peut s’y essayer (elle tente sa chance), l’entreprise installée aura plus de mal.
Troisièmement, la durée de vie d’un océan bleu est limitée. Les exemples emblématiques utilisés par Kim et Mauborgne ne seront pas restés bleus très longtemps. South West dans l’aérien low cost aura été imité massivement. Le Cirque du soleil, qui aura réinventé le cirque, a connu des revers de fortune avec un modèle qui s’est usé.
Au total, l’idée de stratégie Océan bleu est séduisante mais peu praticable. Elle illustre surtout comment un intitulé de concept bien trouvé peut laisser une trace durable, en tout cas plus durable qu’une stratégie océan bleu dont on voit les limites.Publié le vendredi 07 décembre 2018 . 3 min. 33
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