Certains leaders ont une capacité singulière pour sentir une situation et énoncer une stratégie dont ils sont intimement convaincus qu’elle sera pertinente. Certains diraient qu’ils ont la vista.
Cette capacité d’intuition stratégique est rare mais peut permettre une vitesse de réaction face à l’imprévu, à une manœuvre d’un concurrent ou à une situation complexe qui survient.
William Duggan a cherché à comprendre les ressorts d’une telle capacité d’intuition stratégique. Il l’attribue à un éclair créatif. Il part de l’idée que l’intuition stratégique surgit dans l’esprit d’êtres expérimentés, éduqués et cultivés, par recombinaison d’éléments de connaissances et d’expérience qui s’entremêlent et cristallisent sous la forme d’une fulgurance géniale, une sorte de jaillissement de synthèse.
Il prend l’exemple de Bonaparte, tout jeune officier d’artillerie, qui est affecté au siège de Toulon en 1793. Les monarchies coalisées, menées par les anglais, ont attaqué la France républicaine. La flotte anglo-espagnole a pris le port et la ville de Toulon. Côté français, le général Carteaux dirige le siège. Il voit arriver Bonaparte, jeune capitaine d’artillerie, qui lui propose un plan : prendre le fort de l’Eguillette, un fort latéral sur la rade, arguant que la flotte anglaise s’enfuira. Carteaux n’apprécie pas ce Bonaparte, un jeunot, et ne veut pas entendre parler de son plan, lui qui ne pense qu’à charger pour reprendre la ville à la force des baïonnettes. Et il échoue jusqu’à ce que le comité de salut public désigne le général Dugommier pour lui succéder. Dugommier se laisse convaincre par le plan du jeune Bonaparte. Et ce plan fonctionne parfaitement. Les français prennent le fort de l’Eguillette, puis celui de Mulgrave, du Baladier et du Faron. Canonnés de toute parts, la flotte anglo-espagnole s’enfuit.
William Duggan explique l’intuition stratégique du jeune Bonaparte par la combinaison de quatre ingrédients : Sa capacité à lire les cartes d’état-major cotées lui ayant permis de voir la surélévation du fort de l’Eguillette; sa connaissance de l’existence de canons légers que l’on pouvait désormais hisser sur des forts surélevés ; sa connaissance de l’histoire de France avec Jeanne d’Arc qui attaquait toujours des forts latéraux pour affaiblir les défenses adverses avant d’engager frontalement ; sa connaissance de l’histoire de la guerre d’indépendance américaine avec la bataille de Yorktown où l’amiral français de Grasse avait fermé la baie de Chesapeake, coupant la ville de Yorktown de la flotte anglaise au large. C’était 12 ans plus tôt, en 1781. Bonaparte avait compris que plus jamais un officier de la Royal Navy ne pourrait envisager de laisser une partie de la flotte dans un port se laisser couper du reste de la flotte restée au large.
Recombinaison de connaissances historiques et techniques, à défaut d’expérience pour ce jeune officier, telle est selon William Duggan la source de l’intuition stratégique. A l’inverse, l’expérience bornée d’un Carteaux, pétri de certitudes, l’aura mené à l’échec. De son côté, Bonaparte prendra 4 grades en 4 mois. Arrivé capitaine à Toulon, il sera général pour la campagne d’Italie. Education, culture historique et expérience constituent les ressorts de la vista et de l’intuition stratégique.Publié le lundi 19 novembre 2018 . 3 min. 34
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