"Vous êtes avocat associé au cabinet JeantetAssociés. Je vous reçois aujourd’hui pour évoquer les grandes évolutions du rôle de l’avocat dans la vie économique. Alors première question : quelles sont les grandes tendances que vous identifiez dans votre métier?
Je dirais que tout l’enjeu pour l’avocat aujourd’hui, c’est de s’affirmer comme un expert. Lorsqu’il s’adresse à son client, l’avocat doit connaître parfaitement son secteur et l’écosystème de l’entreprise qu’il représente. L’organisation des cabinets suit cette tendance : les avocats ne sont plus seulement des spécialistes du droit des affaires ou de l’arbitrage mais sont intégrés dans des « practise groups », comme la construction ou l’énergie. Un bon généraliste ne fait plus la différence.
L’avocat devient donc davantage orienté « business ». Le contentieux reste-t-il le cœur de son métier?
Bien sûr, cela reste l’aspect fondamental dans sa pratique. Mais il faut cesser d’opposer les avocats de projets/conseils aux spécialistes du contentieux. Les contours autrefois tranchés de cette séparation très commode s’émoussent. Trois raisons à cela : d’abord, l’évolution de l’accompagnement de l’avocat dans l’entreprise. Aujourd’hui, il s’adresse aussi bien à la direction juridique qu’à la direction générale ou financière, voire technique. La deuxième, c’est la tendance à l’internalisation des compétences juridiques. Enfin, il faut noter les allers-retours croissants entre la profession d’avocat et les juristes d’entreprises et pas seulement dans le sens cabinet à entreprise...
Justement, il est connu que les avocats et les juristes d’entreprises se livrent à ce que l’on pourrait appeler une « guéguerre ». Touche-t-elle à sa fin dans le contexte que vous nous décrivez?
C’est vrai qu’on constate encore cette opposition, particulièrement dans certains barreaux dans les régions traditionnellement plus frileux sur l’unification des métiers du droit. Mais les ponts jetés entre la profession d’avocat et celle de juristes d’entreprises se sont multipliés ces dernières années. Tout cela a participé à la diffusion d’une vision de plus en plus unifiée de la matière juridique dans l’entreprise.
Y a-t-il des éléments structurels qui ont favorisé ce rapprochement entre les deux mondes?
Oui, le cycle de crise que nous vivons actuellement a entraîné un reflux des projets et, parallèlement, un afflux des contentieux sous de multiples formes rendant plus que jamais indispensable la coopération entre avocats et juristes d’entreprises. Les contentieux ont ainsi pris des formes multiples, et le contract management s’est développé : les grands contentieux commencent très souvent par un suivi contractuel complexe pour les juristes d’entreprises ; les avocats ne peuvent l’ignorer et se doivent d’être parfaitement à l’aise dans l’industrie de leurs clients. Autre conséquence : le recours à l’arbitrage s’est renforcé, notamment dans les grands contrats internationaux. La place de Paris reste une destination de choix comme lieu d’arbitrage pour ces grands contrats.
Pourrait-on aller jusqu’à dire que l’avocat se mue progressivement en consultant juridique?
Sans aller aussi loin, je dirai qu’il y a une forte pression à l’adaptation du modèle à celui d’un cabinet plus entrepreneurial, avec l’émergence de spécialistes corporate, financiers, ou même sectoriels. L’avocat français doit aussi pouvoir sur les grands projets internationaux apporter une expertise locale en particulier dans les pays émergents. Et puis il y a une nouvelle tendance, encore prometteuse, c’est l’avocat qui se mue en lobbyiste pour tenter de peser sur l’environnement juridique de son client."
Hugues de la Forge, L'avocat du XXIème siècle, une vidéo Xerfi Canal TV
Publié le jeudi 26 mars 2015 . 6 min. 42
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