Depuis le 27 janvier, la Banque centrale européenne (BCE) ne produit plus de billets de 500 euros. Est-ce un pas vers une économie sans cash ? Pas pour l’instant.
A la fin 2018, la valeur totale des billets en euros atteignait 1231 milliards, soit l’équivalent d’environ 8 % du PIB de la zone. Parmi ceux-ci, on trouve un peu plus de 520 millions de coupures de 500 euros, soit près de 2,5 % du nombre de billets et 21 % de la valeur des billets en circulation. En fait, compte tenu d’une faible demande, les banques centrales de la zone n’ont plus émis de billets de 500 euros depuis 2014.
Si les paiements par cartes de crédit sont en forte progression, ils restent encore très loin de détrôner le cash. Selon une enquête de la BCE portant sur les pratiques de 2016, les Européens ont réalisé cette année-là 157 milliards de transactions sur des points de vente : 79 % ont été payées en cash, 19 % en cartes, le reste avec des supports divers (chèques, mobiles…). Le cash reste également majoritaire en termes de valeur des paiements : 54 % contre 39 % pour les cartes.
L’enquête montre que le comportement vis-à-vis du cash ressort plus de considérations nationales que du niveau d’éducation. Ainsi, lorsque les Européens détiennent en moyenne 65 euros dans leur portefeuille, les Allemands en ont en moyenne plus de 100 et les Français 32. Les Français paraissent d’ailleurs atypiques au sein de l’Union par leur faible utilisation des espèces : elles représentent 28 % de la valeur des transactions, soit à l’avant dernier rang après les Pays-Bas.
La place importante du cash n’est pas une spécificité européenne même si les cartes sont bien plus présentes ailleurs dans le monde. Selon les données de la Banque des règlements internationaux (BRI), entre 2000 et 2016, la valeur des paiements par cartes est passée de l’équivalent de 13 à 20 % du PIB mondial et celle des paiements en espèces de 7 à 9 % du PIB.
Comme en Europe, les comportements sont très différents selon les pays. Les cartes de crédits ne représentent qu’environ 10 % des règlements en Allemagne et au Japon contre plus de 40 % en Corée du Sud ou au Royaume-Uni.
En fixant la différence entre billets à faible et à haute dénomination à 75 dollars, la BRI montre que c’est la demande de hautes dénominations qui pousse la demande de billets. Il semble que cette progression soit essentiellement due à un comportement de thésaurisation de la part des populations des pays développés depuis la crise de 2007-2008.
Dès que l’on parle d’espèces, surtout de haute dénomination, on pense tout de suite aux valises de billets et à leur utilisation pour les affaires de blanchiment ou de fraude fiscale. Si le transport d’espèces n’a pas disparu en la matière, le transfert opaque d’argent à l’étranger ne réclame pas de le déplacer physiquement mais juridiquement : les stratégies d’optimisation fiscale agressive vise justement à transférer le droit de propriété sur des revenus ou un patrimoine dans des pays où le bénéficiaire effectif sera dissimulé et l’argent peu contrôlé et peu taxé.
Mais l’enjeu des paiements en espèces dépasse le simple cadre de l’argent illégal. Le journaliste financier allemand Norbert Haering pointe deux dérives importantes possibles à la diminution de l’utilisation du cash.
D’un côté, les paiements en espèces anonymes ne servent pas que les mafieux : à l’heure des GAFA, ils restent la partie de notre vie qui n’est pas enregistrée et disséquée à des fins commerciales. Cela n’a pas échappé au géant du commerce en ligne qui a ouvert il y a peu son premier Amazon Go : une supérette où l’on met les produits dont on a besoin dans son sac, la technologie assure la reconnaissance de tous nos achats et le prélèvement sur notre compte sans avoir rien à débourser dans le magasin.
Au-delà, le journaliste a été surpris de constater la succession d’annonces de gouvernements de pays du Sud affirmant vouloir en finir avec le cash, du Malawi au Nigéria en passant par les Philippines, etc. En fait, Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI), ainsi que l’USAID, l’agence de coopération gouvernementale américaine, poussent en ce sens dans le cadre d’une alliance, la Better Than Cash Alliance, initiée par des géants comme Mastercard, Visa, Citibank ou PayPal afin de développer les paiements électroniques et d’accroitre ainsi largement leur marché et leurs bénéfices.
Une évolution qui passe dans chacun des pays par la constitution de bases de données biométriques dans lesquelles les populations sont enregistrées à des fins d’inclusion financière, bases qui sont également constituées pour établir des listes électorales fiables. Deux objectifs louables mais qui, dans les deux cas, fournissent également un moyen de contrôle des populations.
Dans une économie sans espèces, tout le monde doit être branché en permanence sur Internet, et dépend des décisions, de quelques banquiers et intermédiaires financiers privés. Avec la disparition totale des espèces, c’est non seulement une technologie robuste et publique mais aussi un espace de liberté individuelle qui disparaîtrait.
Publié le lundi 25 février 2019 . 5 min. 35
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