Travailler plus, pour gagner plus. Cela semble frappé du sceau du bon sens. Mais à côté de cela, il y a les tendances historiques. Et ces tendances ne nous disent pas cela.
Elles nous disent que durant des années les monde développé a su combiner baisse de la durée du travail et hausse du niveau de vie individuel. Les surplus de productivité étaient reversés aux salariés sous forme pécuniaire, mais aussi sous forme de temps libre, via une réduction de la durée hebdomadaire, une limitation des durées atypiques, une hausse des jours de congés et de repos, un abaissement de l’âge légal de départ à la retraite. Sur la base de ces quatre éléments, le capitalisme a su aussi bâtir une offre de loisirs et un modèle de consommation qui fut au cœur de la prospérité des trente glorieuses et du sentiment d’une montée du bien-être. La société de consommation exigeait un temps de furetage, de mobilité, de congés, de vie domestique qui participaient à l’expansion de ses débouchés. Et il paraissait alors évident que le développement allait de pair avec une baisse du temps travaillé. La petite phrase de Sarkozy aurait alors sonné comme un anachronisme, et l’accroissement de la durée hebdomadaire du travail ou de l’âge de la retraite comme une régression sur les plans sociaux mais aussi économiques.
La durée du travail a réellement baissé
D’où vient que le capitalisme aujourd’hui ait perdu cette martingale. Regardons d’abord les grandes tendances. Oui, on assiste bien à une baisse de la durée du travail par emploi. C’est un fait. Il s’agit là de l’indicateur OCDE, qui estime la durée effective sur an par emploi, intégrant l’impact de la durée légale mais aussi celui du temps partiel, et des congés notamment. Cette tendance est manifeste jusqu’aux années 80. Aux États-Unis, où cette tendance est la moins affirmée, la décrue du temps de travail entre le début des années 50 et l’aube des années 80, est de 10%. Ensuite, cette tendance s’estompe, sans disparaître totalement, à l’exception de la Suède notamment, où le mouvement s’inverse. Cette tendance générale est d’abord le fait de causes structurelles : 1) la décrue de la part des travailleurs indépendants, dont la durée hebdomadaire est supérieure à celle des salariés ; 2) la montée du travail à temps partiel ; 3) de façon beaucoup plus marginale, la baisse de la durée légale comme en France ou conventionnelle de branche comme en Allemagne. Mais c’est ce facteur de loin le plus marginal qui fait l’objet de tous les commentaires.
Regardons maintenant le volume horaire qui en résulte pour l’ensemble de l’économie. C’est-à-dire le produit de la durée et du niveau d’emploi. Et rapportons cet indicateur à la population totale. Ce ratio nous donne le nombre d’heures travaillées par an par habitant. C’est un indicateur décisif, car c’est de lui que découle directement le PIB par habitant. Tant que cet indicateur est stable, il agit de façon neutre sur l’évolution du PIB par habitant, qui progresse alors comme la productivité. Ce volume horaire mobilisé par habitant dépend de la durée légale, des congés, du temps partiel, etc., comme la durée par tête, mais il est affecté par deux variables clés supplémentaires : 1) la part de la population en âge de travailler dans la population totale et 2) dans cette population en âge de travailler, la part de ceux qui travaillent effectivement. Autrement dit, la hausse du chômage peut dégrader l’indicateur, mais surtout la baisse du taux de participation. A travers cet élément intervient une dernière dimension décisive de la durée du travail, cette fois-ci tout au long de la vie : le taux d’activité des seniors, qui lui-même est conditionné par l’âge de la retraite.
Rapporté à la population, le volume de travail reste stable
Regardons déjà les tendances qui se dégagent de cet indicateur. Manifestement, l’idée que le progrès du capitalisme va de pair avec une baisse du temps de travail, n’est vérifiée qu’au plan individuel. A échelle globale, il y a plutôt une stabilité de la quantité d’heures mobilisées par habitant, et aucune tendance de baisse qui serait commune à tous les pays. Seuls la France et le Japon (partant d’un niveau élevé), faisant vraiment exception. La baisse de la durée individuelle du travail jusque dans les années 80, a été contrebalancée par la dynamique démographique, de hausse de la part de la population en âge de travailler et surtout, par la hausse généralisée des taux de participation à l’emploi, notamment à travers le développement du travail des femmes. Par la suite, la hausse de l’activité des seniors a participé à la stabilité du nombre d’heures travaillées par habitant dans de nombreux pays, contrebalançant l’effet de la pyramide des âges.
In fine, ce que l’on voit, c’est que les économies développées, détrompant toujours les promesses du progrès technique, ont toujours mobilisé un volume de travail assez constant rapporté à la population. L’évolution de la pyramide des âges et l’extension de la participation des femmes, a permis de réduire la durée individuelle, tout en maintenant constante la mobilisation. Et dans un contexte où la part de la population en âge de travailler diminue, ce qui est le cas partout aujourd’hui, il n’est pas surprenant et pas si anachronique que la durée de vie au travail revienne au premier plan du débat.
Publié le vendredi 17 janvier 2020 . 5 min. 51
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